Note de lecture et extrait : Les Vitamines du bonheur, Raymond Carver
Note de lecture
Plumes, La Maison de Chef, Conservation, Le Compartiment, C'est pas grand-chose mais ça fait du bien, Les Vitamines du bonheur, Attention, Là d'où je t'appelle, Le Train, Fièvre, La Bride, Cathédrale. Ce sont les titres des douze nouvelles qui composent ce recueil humble et puissant. Le paysage général est celui de l'Amérique middle-class ou profonde ; les personnages, M. et Mme Tout-le-monde. Il est question de bébé et de paon, de maison, de frigo, de liens filiaux, de deuil et de pâtisserie, d'alcoolisme, de gare et de train, de séparation, de vie précaire et de dignité, de cécité et de clairvoyance. Le style est ancré dans un réalisme quotidien, mais il y a dans chaque nouvelle un élément d'étrangeté qui sidère. Qui déchire parfois. Qui serre le cœur toujours. C'est fort dans sa simplicité, sans concession dans l'expression d'une humanité souvent malmenée, déboussolée, mais tout empreint d'une empathie qui touche à la grandeur d'âme.
Extrait - La Bride
Une fois, quand j'étais à l'école, une psychologue m'a demandé de venir dans son bureau. Elle faisait ça avec toutes les filles, une par une. "Quels rêves faites-vous ?" Elle m'a demandé. "Qu'est-ce que vous vous voyez faire d'ici dix ans ? Vingt ans ?" J'avais seize ou dix-sept ans. Je n'étais qu'une gosse. Je ne savais pas quoi répondre. Je suis restée muette comme une carpe. Elle avait à peu près l'âge que j'ai maintenant, la psy. Je la trouvais vieille. Elle est vieille, je me disais. Je savais que sa vie était à moitié passée. Et j'avais l'impression de savoir quelque chose qu'elle ne savait pas. Quelque chose qu'elle ne saurait jamais. Un secret. Quelque chose que personne n'était censé savoir, ou exprimer. Alors je n'ai rien dit. J'ai secoué la tête, c'est tout. Elle a dû écrire que j'étais idiote. Mais je n'arrivais pas à parler. Vous voyez ce que je veux dire ? J'avais l'impression de savoir des choses qu'elle ne pouvait pas deviner. Maintenant, si quelqu'un me reposait cette question, sur mes rêves et tout ça, je lui dirais.
– Qu'est-ce que vous leur diriez, ma chérie ?
[...]
– Les rêves, vous savez, on s'en réveille. Voilà ce que je dirais.
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