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  • Photo du rédacteurLe roi de Finlande

Moi, Friedrich Karl, roi de Finlande (épisode 5)

Feuilleton littéraire



- Eh bien, mon cher Prince, on peut dire que vous revenez de loin. Comment vous sentez-vous ?

Mon médecin était assis près de mon lit. Présence chaleureuse et pleine de bonhommie, comme à son habitude. J'ai failli le corriger sur sa façon de s'adresser à moi, en lui demandant de respecter mon nouveau titre, mais j'ai préféré me taire. J'ai même décidé à ce moment-là de garder complètement le silence, alors que je pensais avoir l'usage de la parole.

- Une sacrée fièvre de cheval. Et longue, par dessus le marché. Six jours. Je commençais à me demander si on allait vous récupérer. Par ailleurs, j'ai rarement vu un malade aussi agité. Et aussi bavard ! Je ne savais pas que les chasseurs pouvaient vous mettre dans un tel état . Bref, comment allez-vous maintenant ?

Photo d'une tête de cerf naturalisée empaillée

Je n'ai rien répondu ; j'ai juste tourné la tête de l'autre côté du lit ; mon épouse et mon valet étaient là, debout, le regard posé sur moi, l'air content et soulagé. Mes yeux ont poursuivi leur chemin pour s'arrêter ensuite sur la tête de cerf accrochée au mur ; je suis resté un moment dans la contemplation de cette tête, vaguement incrédule.

- Bon, bon, bon. Prenez votre temps mon cher Prince. J'ai l'impression que ça va mieux et que vous revenez parmi nous. Je repasserai demain pour prendre de vos nouvelles.

Il s'est alors levé en direction de la porte. Et juste avant de quitter la pièce, il s'est retourné vers moi, en souriant :

- Il faudra aussi que vous me disiez qui est ce Danois dont vous êtes sûr qu'il a tué sa femme... Si vous ne m'en dites rien, j'irai trouver la police !

Là-dessus, il est parti d'un grand éclat de rire et s'en est allé, suivi de ma femme. Je suis resté seul avec mon valet. En me redressant un peu dans mon lit, j'ai saisi quelques feuilles de papier qui restent toujours sur ma table de chevet, ai demandé une plume et de l'encre en mimant d'une main l'acte d'écriture, ai griffonné quelques mots de manière tremblotante et ai tendu ma prose à mon valet qui a lu à haute voix :

- Qui m'a retrouvé dans la campagne ? A-t-on ramené ma bicyclette rouge ?

Il m'a regardé, a hésité à répondre et a finalement tourné les talons pour quitter lui aussi ma chambre. Je suis resté un peu interdit. Puis, la tête lourde, j'ai repris une position plus horizontale et me suis rendormi.

Le lendemain matin, je me sentais bien. Le valet m'a apporté mon petit-déjeuner au lit, sans rien dire. J'ai mangé, sans rien dire non plus. Et je me suis habillé pour sortir en douce, en direction des dépendances, muni de quelques feuilles de papier, d'une plume et d'un encrier. Je n'ai pas vu ma bicyclette dans le bâtiment où je l'avais retrouvée. En revanche, s'y trouvait l'homme qui l'avait réparée. Par écrit, je lui ai demandé ce qu'il en était de ma bicyclette. Il a eu l'air sincèrement surpris.

- Quelle bicyclette ?

J'ai commencé à suer à grosses gouttes. Mon interlocuteur a pris un temps de pause en contemplant mon visage, avant de reprendre.

- Vous n'avez pas de bicyclette. Au château, on dit que vous avez pris quelques bonnes gamelles quand vous étiez petit et que ça vous a détourné de la bicyclette. Vous avez toujours préféré le cheval. Gretel, la vieille cuisinière, raconte d'ailleurs souvent l'épisode du cheval dans la cuisine. Vous étiez adolescent. Vous aviez fait entrer votre cheval favori et l'aviez laissé près des fourneaux. Elle avait failli mourir de peur en revenant du marché...

J'ai dû m'asseoir sur un tabouret près d'un établi où régnait un bazar sans nom. Toujours par écrit, je lui ai demandé s'il se souvenait de ma visite l'autre jour.

- Oui. Pour sûr que je m'en souviens. On n'avait jamais eu de conversation aussi longue, vous et moi. Et puis ça m'a fait plaisir que vous preniez des nouvelles de ma famille. Je ne pensais pas, d'ailleurs, que l'histoire de notre nouveau chien vous marquerait à ce point.


Texte : Frédéric Viaux

Photo : domaine publique


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