Le roi de Finlande
Moi, Friedrich Karl, roi de Finlande (bonus 2)
Feuilleton littéraire, Ce qui s'est réellement passé dans la blancheur du lac
De l'autre côté. Je ne t'ai pas vue tout de suite. J'ai d'abord été surpris par la lumière et le décor de cette autre pièce. L'unique source lumineuse provenait de dalles phosphorescentes qui composaient toute la surface du sol, qui m'éblouissaient lorsque je regardais mes pieds, mais qui laissaient la partie supérieure de la pièce dans une douceur tamisée. Cette pièce, aux contours nets et précis, ressemblait à une chambre à coucher classique, mais d'une blancheur et d'un dénuement extrêmes. Aucune trace de couleurs. On avait ôté des murs un miroir et plusieurs tableaux, laissant tout autour quelques ornements inutiles et quelques vides réinvestis de blanc. Pas de lustre. Pas de porte. Pour tout mobilier, dans un coin, semblait s'élever un grand lit, étrangement haut perché. Je n'en voyais pas la surface plane ; je voyais simplement un grand tissu de parure blanc qui retombait de chaque côté. M'approchant, je suis venu toucher ce drapé, ai laissé filer ma main sur son velouté et ai fini par rencontrer et deviner, à travers le tissu, une sorte d'échelle. Libérant une partie de la parure, j'ai découvert effectivement une structure qui permettait de grimper. Ce que j'ai fait, avec lenteur et précaution. Ma tête est arrivée à ton niveau et je suis resté figé.
Tu étais là, allongée nue sur le dos, reposant endormie. J'ai d'abord embrassé du regard l'ensemble de tes formes généreuses, une géographie de vallons et de collines douces dont j'ai immédiatement eu envie d'être l'arpenteur privilégié. Puis j'ai contemplé plus précisément les zones qui m'émerveillaient le plus. Ta bouche entrouverte qui laissaient passer un filet d'air entre des lèvres pulpeuses et frémissantes. Tes seins lourds de beauté, qui basculaient légèrement chacun de leur côté, dans un galbe parfait. Ta toison claire qui bougeait de manière infime au gré de ta respiration tranquille, comme un champ de blé sous la caresse d'une brise. Tes cuisses larges, satinées, sur lesquelles apparaissaient régulièrement de petits frissons.
Après de longues minutes, je suis venu m'allonger à côté de toi sans que, bizarrement, tu te réveilles. J'ai commencé à jouer avec quelques boucles de ta chevelure qui se répandait en vagues et dans laquelle j'ai ensuite plongé une main entière ; elle s'y est noyée, disparaissant dans une tiédeur qui a peu à peu tempéré mon ardeur, me faisant découvrir une suavité sereine, puis glisser finalement dans un demi-sommeil encore inenvisageable quelques instants auparavant.
J'ai dormi sur le ventre. Et ce sont tes caresses sur mon dos qui m'ont réveillé. Avec ces mots : "On a tous besoin de se faire caresser le dos, de temps en temps. Comme des chats. Ça réconforte, ça allège le fardeau. Et toi, mon roi, quel est ton fardeau ?" – "Je ne sais pas. Tout est pour le mieux et rien ne va vraiment. Je ne suis pas ce que je suis. Les murs ont des oreilles. Les murs me parlent trop." – "Oui, mais la lune veille sur toi. La lune est dans ton dos." Et tu t'es allongée sur moi, ton dos contre mon dos, tes fesses au creux de mes reins, ton corps épousant le mien dans un mystère défiant les lois de l'anatomie. Tu m'as recouvert ; tu as tapissé ma peau de ta peau. Et naturellement, la vie est montée en moi, plus forte que jamais. Nous nous sommes retournés d'une manière aérienne qui n'a rien de ce monde. Je me suis retrouvé sur le dos. Toi, de face, tu es venue fusionner ton bassin avec mon bassin, poser ton ventre sur mon ventre, ta poitrine sur ma poitrine, tes lèvres sur mes lèvres. L'aérien est devenu tellurique. Nos mouvements ont été lents et puissants. J'ai senti tout le feu de la terre brûler dans mes veines et une force propre à déraciner les arbres. J'ai entendu souffler les tempêtes et crier les animaux sauvages. Jusqu'à la libération. Jusqu'à la libération, enfin.
Et puis la paix. Le calme des eaux dormantes. Un petit clapotis de temps en temps. Nous sommes revenus à la conscience de la pièce blanche désormais tout envahie d'humidité. En passant les jambes en dehors du lit, supposément dans le vide, nous nous sommes retrouvés les pieds dans l'eau. L'eau avait empli la pièce aux trois quarts. Les dalles projetaient toujours leur lumière phosphorescente, faisant scintiller d'or le fluide de cet improbable bassin. Il y avait mille nuances, mille reflets dans la pièce, qui changeaient sans cesse. C'était beau et magique.

Tu m'as dit : "Allons rejoindre les autres." J'ai regardé ton glissement depuis le lit vers l'eau de là. Ton corps se laissant aller vers les profondeurs de la pièce immergée. J'ai glissé aussi. Je t'ai rejointe. Ils nous ont rejoints. Sortis de nulle part, des corps nus d'hommes et de femmes sont venus peupler cette pièce-bassin, tournoyant sur eux-mêmes, ondulant. Nous avons bientôt été entourés d'une multitude de torses et de dos, de bras et de jambes, de mains et de pieds, nous caressant, nous enlaçant. Je t'ai perdue de vue, mon amour. Je me suis laissé emporter dans un mouvement ascendant et dans une eau de plus en plus opaque, de plus en plus lactée, de plus en plus épaisse. J'ai eu l'impression d'évoluer en spirale croissante, de perdre toute notion d'orientation et de temps, et de me délester de morceaux de ma peau. Puis il m'a semblé filer de manière serpentine dans une direction unique, jusqu'à un petit buisson végétal, au bord du lac. C'est là que, sorti de mon ivresse, je ne tarderais pas à découvrir un magnifique fauteuil de velours bleu.
Texte : Frédéric Viaux
Photo : Hugh Arnold